OPINION. Les prix de l’électricité s’envolent dans les pays de l’Union européenne en raison notamment de la hausse des prix du gaz naturel. Il n’y a aucune raison pour que les prix s’emballent, la majorité du marché étant régie par des contrats à long terme avec un prix fixe indexé sur divers paramètres. En revanche, la politique européenne de “verdissement” de la production de l’électricité a quelques conséquences. (*) Par Samuel Furfari, Professeur de géopolitique de l’énergie à l’Université Libre de Bruxelles, Docteur en Sciences appliquées (ULB), ingénieur polytechnicien (ULB), Président de la Société européenne des Ingénieurs et Industriels (SEII).
A l’occasion d’un sondage sur le verdissement de notre société, les Français interrogés ont répondu qu’ils voulaient que l’Etat soit plus agressif pour l’imposer. On s’est bien gardé de leur dire quelles en étaient toutes les conséquences.
Les Européens semblent pourtant en train de découvrir les premières conséquences financières du verdissement qu’ils appellent de leurs vœux puisque les prix du gaz naturel et de l’électricité explosent partout dans les États membres de l’Union européenne (UE). Les prix du gaz viennent d’atteindre un plus haut historique sur la plateforme néerlandaise du marché européen (le TTF — Title Transfer Facility) : 79,31 €/MWh soit une augmentation de 30 % en une semaine. Comme le prix de l’électricité est déterminé également par le prix marginal du gaz, il a suivi le mouvement. Les politiques commencent à trembler, car ils savent que la population ne pourra pas accepter en silence cette dérive haussière.
Aides aux ménages modestes
Ainsi, en France, les ménages modestes vont recevoir 100 euros pour compenser la hausse du prix de l’énergie. Le 15 septembre, le gouvernement espagnol a approuvé un nouveau train de mesures visant à faire baisser les factures d’électricité, allant d’une réduction de la taxe spéciale sur l’électricité à une réduction temporaire de la rémunération perçue par les centrales électriques n’émettant pas de CO2. En Italie, le gouvernement envisage de permettre l’utilisation de fonds de son enveloppe dévolue au plan européen de relance Covid pour aider les familles qui ont du mal à payer leur facture d’énergie alors que cette augmentation est comme on va le voir la cause des politiques européennes.
Il y a quelques jours la directrice de la Commission européenne responsable du coût du CO2 a voulu calmer les esprits en déclarant que la Commission européenne allait tout faire pour que le coût ne monte pas trop longtemps, alors qu’encore récemment le vice-président Timmermans en charge du « sauvetage de la planète » expliquait qu’il fallait précisément que l’énergie soit chère pour obliger les gens à changer de comportements. Pathétique et sidérant !
Chacun y est allé de son explication : problème technique en Russie, faible niveau des stocks stratégiques obligatoires, manque de réserves, profits des Russes aux dépens de l’Ukraine, etc. De son côté, Moscou profite de cet épiphénomène pour justifier, comme si c’était nécessaire, le gazoduc Nord Stream 2 , contesté par la Commission européenne, gazoduc qui va, à présent qu’il est terminé, mieux alimenter le marché gazier de l’UE.
Fonctionnement normal du marché
Mais qu’en est-il en fait ? Aujourd’hui, on prétexte que la demande de gaz est en forte croissance en Asie et en particulier en Chine, et que donc les méthaniers sont plus attirés vers l’Asie que vers l’UE. Ce n’est qu’un fonctionnement normal du marché. On assiste d’ailleurs au même emballement pour le prix du charbon, le paria qui est quand même à l’origine de la création de l’UE. Il ne cesse d’être convoité en Asie au point que Scott Morrisson, le Premier ministre australien, a déclaré que son pays produira tout le charbon dont le marché a besoin.
Cette croissance économique asiatique ne peut se réaliser que grâce à un recours à l’énergie abondante et bon marché, contrairement à l’UE qui fait tout pour avoir une énergie peu abondante et chère, comme c’est à présent devenu flagrant aux yeux de tous. Ce phénomène n’est pas prêt de s’arrêter, car le parti communiste chinois ne parviendra pas à son objectif de dominer le monde d’ici 2050 sans consommer toujours plus d’énergies fossiles et nucléaire.
Mais la flambée des prix du gaz et donc de l’électricité est-elle justifiée ? Nous sommes hélas en train de vivre le même phénomène « injustifié » de la période 2004-2014 lorsque les prix du pétrole ont été manipulés par tous les acteurs de la chaine — producteurs, distributeurs, traders et États — au détriment des consommateurs (voir mes articles et livres de l’époque). La spéculation n’est pas un phénomène spontané, mais une amplification d’une cause au début négligeable que les spéculateurs identifient rapidement comme étant la bonne occasion pour s’enrichir aux dépens des autres. A ce jeu, tout le monde y gagne — y compris l’État via les accises — au détriment du consommateur.
Majorité du marché régie par des contrats à long terme
En l’occurrence, il n’y a aucune raison pour que les prix s’emballent sur l’ensemble de l’énergie même s’il est justifié sur la croissance de petites quantités qui fixent ce qu’on appelle le prix marginal. Que ce soit pour le pétrole ou le gaz naturel, la toute grosse majorité du marché est régie par des contrats à long terme avec un prix fixe indexé sur divers paramètres, l’indexation se faisant contractuellement après une période de stabilisation des prix de quelques mois. Dans le cas du gaz, il s’agit même de contrat du type « take-or-pay » qui contraint le vendeur à vendre et l’acheteur à acheter au prix fixé par contrat. Le prix du gaz naturel liquide livré par quelques méthaniers peut très bien augmenter en Chine ou en Corée à cause de la forte demande, le prix des grandes quantités de gaz russe, algérien ou norvégien vendu dans l’UE n’est pas influencé par cela. Et pourtant, ce prix marginal de faibles quantités se répercute sans raison sur le prix de l’électricité puisque tout cela est régi par un marché numérisé (comme lors du prix négatif du pétrole en avril 2020). Tout le monde en profite — y compris l’Etat — sauf le consommateur.
Bien entendu, tout cela démontre l’inanité des énergies éolienne et solaire qui ne pourront jamais remplacer le gaz ni le nucléaire à cause de leur nature intermittente et variable. Ces énergies sont marginales — 2,5 % de la demande primaire de l’UE — et le resteront, et tout l’argent déversé par l’UE ni changera rien. On a commencé à développer — très sérieusement — ces énergies il y a près d’un demi-siècle lors des chocs pétroliers et après trois directives qui imposent leur production et avoir dépensé plus de 1.000 milliards d’euros, on en est toujours à trembler devant la croissance de la demande en gaz naturel.
Retour des gilets jaunes
Préparez-vous à une explosion des prix de votre facture de l’énergie sans qu’il n’y ait aucun impact sur les émissions mondiales de CO2. Préparez-vous aussi à voir revenir les gilets jaunes en masse, mais cette fois hélas il est à craindre qu’ils brûlent des drapeaux bleus étoilés.
Article de Samuel Furfari, initialement paru sur le site de latribune.fr