Peut-on ne pas rembourser une dette et, pour le dire de manière moins pudique, l’annuler ?

L’indigence de la culture économique en France résumée en un sondage : d’après l’enquête Odoxa-Aviva pour Challenges et BFM Business, 34 % des personnes interrogées estiment qu’il ne faudrait pas rembourser la dette contractée par l’État pendant la pandémie de Covid-19 ; 39 % des Français estiment qu’il faudrait la rembourser pour « une bonne partie avec une contribution exceptionnelle des grandes fortunes » ; 73 % suggérant de faire et l’un et l’autre…

PEUT-ON NE PAS REMBOURSER UNE DETTE ET, POUR LE DIRE DE MANIÈRE MOINS PUDIQUE, L’ANNULER ?
L’annulation des dettes est une idée qui revient régulièrement dans le débat agitant experts, économistes et politiques. L’accroissement vertigineux de la dette contractée par l’État pour contrer la propagation de la pandémie et les conséquences des mesures de confinement n’y est pas étranger.

L’encours de la dette négociable, qui atteignait un niveau de 1823 milliards d’euros à la fin de 2019, était, du fait de la crise sanitaire, mais aussi du plan de relance, attendu fin 2020 à 2030 milliards d’euros, puis à 2126 milliards d’euros fin 2021, selon les documents budgétaires du projet de loi de finances pour 2021, soit une augmentation supérieure à 300 milliards d’euros en deux ans.

Certes, la situation dégradée d’un débiteur peut conduire ponctuellement à une annulation de sa dette. Mais elle gruge le créancier, alors privé de son capital et ses intérêts.

Le manquement à l’engagement qui le lie à ses créanciers affaiblit également la capacité future du débiteur à emprunter ou, s’il y parvient, l’expose à une remontée des taux d’intérêts.

Enfin, le non-remboursement de la dette crée un « aléa moral » toujours périlleux, en favorisant les agents peu rigoureux aux dépens de ceux qui, bons gestionnaires, ont anticipé la matérialisation des risques.

Si elle ne remboursait pas sa dette, à cause par exemple d’une économie atone ou de l’absence de toute réforme structurelle (telle celle des retraites, maintes fois différée, et qui s’apprête à l’être encore), la France serait rapidement sanctionnée par les marchés financiers. Sa prime de crédit et sa charge de la dette s’envoleraient.

AUTRE VIEILLE LUNE À AVOIR REFAIT SURFACE : L’INSTAURATION D’UNE CONTRIBUTION EXCEPTIONNELLE DES GRANDES FORTUNES
En l’espèce, il faudrait aller très au-delà d’un simple rétablissement de l’ISF (lequel rapportait « seulement » 2,1 milliards d’euros de plus que l’actuel IFI, bien loin des 300 milliards d’endettement supplémentaire évoqués ci-avant), et manifestement dépasser le niveau d’imposition optimal au-delà duquel le rendement de l’impôt diminuerait.

Cela est tout particulièrement vrai pour la France qui, avec un ratio de recettes fiscales de 4,0 % du PIB (chiffres OCDE, 2019) s’agissant des prélèvements sur le patrimoine, se classe au deuxième rang mondial. Creuser encore davantage l’écart avec les grands pays industrialisés concurrents ne pourrait que porter préjudice à notre pays, à ses investissements, à l’emploi et, au bout du compte, à ses finances publiques.

Plus fondamentalement, postuler qu’il suffit d’augmenter les impôts pour assainir durablement les comptes publics revient à ignorer d’une part la complexité des liens qui unissent fiscalité et dépenses publiques et d’autre part le risque des effets négatifs sur la croissance d’une hausse excessive des prélèvements obligatoires.

Dès lors qu’elles créent un sentiment de facilité financière, les hausses d’impôts poussent plus facilement, ensuite, les décideurs à engager des hausses de dépenses publiques. Après la crise de 2008-2009, l’OCDE notait ainsi :

« Les efforts d’assainissement menés avec succès dans le passé ont généralement fait une large place aux réductions de dépenses pour des raisons d’économie politique, mais aussi du fait de leurs effets positifs en termes d’efficience et, lorsqu’elles étaient concentrées sur les transferts et d’autres dépenses courantes, de leur durabilité apparente.

Avec un niveau de prélèvements qui atteint déjà environ 35 % du PIB en moyenne dans la zone OCDE (et jusqu’à 50 % environ dans certains pays), de nombreux régimes fiscaux réduisent le PIB en émoussant les incitations au travail, à l’épargne et à l’investissement. Les dépenses publiques sont élevées dans la plupart des pays de l’OCDE fortement endettés. Devant la hausse imminente des coûts liés au vieillissement, la voie la plus prometteuse de la viabilité budgétaire passe par des réductions de dépenses qui améliorent l’efficience allocative (meilleure utilisation générale des ressources) ou productive (moindre coût des ressources par unité de service produit) . »

Ces lignes s’appliquent plus que jamais à la France de 2021.

Un article de Victor Fouquet initialement paru sur le site de l’IREF et sur Contrepoints.