Le phénomène des Papers :  De l’information, de la loi et du (dés)ordre

Le phénomène des Papers : De l’information, de la loi et du (dés)ordre

Le conseil de la Ligue des Contribuables, Maître Thierry Afschrift, vient d’être sélectionné par le magazine WORLD FINANCE pour figurer dans la liste « World Finance 100 » de l’année 2021 ! Nous vous prions de trouver ci-dessous la traduction française de sa contribution.

Les diverses fuites de données de ces dernières années ont mis en lumière une foule d’informations financières privées ou dissimulées, mais les atteintes à la vie privée et la diabolisation des sociétés offshore sont-elles absolument indispensables ?

Luxleaks, Paradise papers, Panama papers et now the « Pandora Papers » : 12 millions de documents confidentiels, provenant des archives de cabinets spécialisés dans la création de sociétés offshore dans les so-called paradis fiscaux. Le phénomène des Papers et autres Leaks est en plein essor et provoque des vives réactions au sein du public et des remous importants au sein de la classe politique ; certains aspects de cette pratique en sont pourtant pas acceptables.

Du côté pile… La constatation de l’ampleur d’un problème

La fraude fiscale est illégale et donc légalement et socialement inacceptable ; elle ne peut être ni cautionnée, ni conseillée. On peut imaginer qu’exposer des schémas de fraude peut être utile pour les autorités, afin de connaître l’ampleur du problème et les méthodes utilisées par des fraudeurs et leurs conseillers dont elles prennent connaissance des noms. Cela permet ainsi aux dirigeants et aux autorités de prendre des mesures adéquates pour contrecarrer ces procédés illégaux, qu’il s’agisse au niveau national, européen ou international, principalement au niveau de l’OCDE, où le Comité des affaires fiscales veille à l’implémentation urgente des principales actions BEPS en la matière : Neutralise the Effects of Hybrid Mismatch Arrangements, design Effective Controlled Foreign Company Rules, limiter l’érosion de la base d’imposition à travers les déductions d’intérêts et les autres paiements financiers et Mandatory Disclosure Rules. Au contraire, si l’explication des schémas de fraude peut constituer une information présentant un intérêt à caractère éducatif, la publication des noms des bénéficiaires de sociétés offshore ne peut à priori avoir qu’un intérêt théorique pour le citoyen ordinaire.

Du côté face : Les effets indésirables 

Cette pratique pose néanmoins beaucoup de problèmes sur les plans juridique, éthique et social. L’on soulignera d’emblée que les faits sont présentés à un public majoritairement non-spécialisé, qui peine à distinguer la fraude fiscale (pratique illégale) de l’ingénierie patrimoniale (pratique parfaitement légale). Les déclarations politiques exacerbent cette confusion, telle, par exemple, celle du ministre belge des finances qui déclarait récemment : « Eviter l’impôt via des constructions off-shore, c’est de la fraude. ». Cette déclaration doit naturellement être nuancée.

D’abord, il convient de rappeler  qu’une société offshore (comme toute autre structure ou société, où qu’elle soit établie) n’est rien de plus qu’un instrument. Et comme tout instrument, la société offshore n’est pas légale ou illégale en elle-même : c’est son utilisation qui peut, ou ne pas, l’être. Une société offshore n’est donc pas nécessairement un instrument de fraude fiscale.

Soumis à un véritable barrage de déclarations médiatiques et politiques et n’ayant pas les compétences techniques pour appréhender correctement la situation, le citoyen moyen perd ainsi de vue un autre fait important : le fait qu’il est taxé de manière excessive.  Ainsi, l’opprobre public se dirige contre ceux qui ont essayé d’échapper, même légalement, à la taxation excessive dont ils font l’objet, plutôt que contre les gouvernements qui augmentent en permanence la pression fiscale afin de couvrir leurs dépenses publiques démesurées. La « justice fiscale » réclamée par le public reçoit ainsi interprétation singulière : l’on ne réclame pas de payer moins d’impôts mais plutôt que les Autres en payent plus. Attitude curieuse puisque le discours étatique suivant lequel l’augmentation de la base taxable (notamment par le biais de la lutte contre l’ingénierie fiscale) permettrait la diminution de l’impôt à payer par le citoyen moyen, ne s’est jamais vérifié dans les faits : les recettes fiscales augmentent au fil du temps mais les impôts ne baissent jamais.

Une atteinte aux droits de l’homme

Ensuite, sur un plan éthique, il est inacceptable de mettre sur un pied d’égalité les fraudeurs et ceux qui ont utilisent une société offshore de manière parfaitement légale. Ces derniers subissent une attaque sans précédent à leur vie privée et ce sans absolument aucune raison, d’autant plus que quand les documents sont révélés au grand public, personne ne sait si les bénéficiaires de ce genre de structures ont agi, ou non, dans la légalité. De plus, si la révélation des ces informations reçoit toujours une grande publicité,  les résultats des enquêtes qui s’ensuivent ne sont que rarement connus, à tel point que l’on ignore la proportion des fraudeurs au sein des personnes dont la vie privée a été exposée au public. En outre, l’on constate que certaines pratiques dénoncées sont fréquentes dans la vie de tous les jours. Par exemple, l’on a reproché à un ancien dirigent politique d’avoir acquis une société-propriétaire d’un immeuble, plutôt que l’immeuble lui-même. Cette opération très courante est ainsi stigmatisée au motif que la société en question était établie dans un paradis fiscal mais il n’a pas été soutenu que s’il s’agissait d’une société locale, il n’aurait pas réalisé la même économie. Après le droit à la vie privée, c’est donc le principe de proportionnalité qui devient la victime du manque de nuance de cette manière de communiquer : en partant du postulat inexact que la société offshore est un instrument de fraude, l’on déduit que celui qui utilise une société offshore est forcément un fraudeur et que, de manière générale, l’utilisation d’une société offshore est à proscrire. Pourtant, il est également vrai qu’un grand nombre de personnes fraudent au moyen de structures établies dans leur propre pays mais jamais personne n’a suggérer d’en interdire l’utilisation. Interdire un outil au motif que certains peuvent en faire une mauvaise utilisation n’a pas de sens.

Enfin, cette pratique soulève des questions juridiques importantes. L’on a déjà évoqué ci-avant le problème de la violation de la vie privée. L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme proclame le droit de toute personne au respect « de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ». Certes des restrictions existent lorsqu’elles sont « prévues par la loi » et sont « nécessaires, dans une société démocratique » : l’on voit cependant mal de quelle manière le déversement sur internet, en vrac et sans aucun filtrage, de 14 millions de documents non-anonymisés pourrait constituer une attitude prévue par une quelconque loi et surtout, en quoi une telle démarche serait nécessaire dans une société démocratique. De plus, une fois publiés, ces documents sont, par la suite, examinés par les autorités nationales et servent de point de départ à des contrôles fiscaux et enquêtes pénales et parfois, fondent des redressements fiscaux et des poursuites pénales.

Or, ces documents et les informations qu’ils contiennent sont, en droit, le fruit d’un vol, opéré souvent en violation du secret professionnel de leur titulaire et leur divulgation constitue à priori une violation du droit à la vie privée et du secret de la correspondance. Il est difficile de ne pas constater la singularité de cette démarche, au demeurant fréquemment validée par les tribunaux, qui consiste à mener un combat au nom de la légalité au moyen de données obtenues illégalement par un tiers. L’exception l’emporte donc sur le principe et ainsi, le droit de propriété et le droit à la vie privée du bénéficiaire d’une société offshore cèdent le pas aux « nécessités d’une société démocratique » (qu’il s’agisse de la liberté d’expression ou du devoir de l’Etat de poursuivre les violations à la loi), rendant ainsi légitime la publication et l’utilisation de données obtenues illégalement, que ce soit directement ou indirectement.

Est-ce acceptable ?

Les avis divergent sur le sujet mais l’on ne pourra nier que l’utilisation d’information volées par les autorités pour parvenir à leurs fins parait choquante sur le plan des principes et en tout état de cause, le fait de rendre publiques des données non-filtrées et non-anonymisées constitue une démarche disproportionnée au regard du droit à la vie privée et de la présomption d’innocence. A l’avenir, à considérer même que cette pratique soit jugée légalement ou moralement acceptable, il faudrait qu’à tout le moins, la divulgation de ce genre de données soit réglementée, afin de protéger les droits des citoyens concernés (dont beaucoup n’ont rien à se reprocher). Même au Moyen-Age, seuls les noms des condamnés étaient proclamés par les crieurs publics…ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Pourtant, la Cour Européenne des Droits de l’Homme considère que les États ont l’obligation de réglementer l’exercice de la liberté d’expression  pour assurer  la  protection  adéquate de la vie privée et de la  réputation  des citoyens. Quant à la presse, elle doit apprécier les répercussions de ses publications qui sont censées susciter un « débat d’intérêt général ». Or, si la question de l’utilisation de sociétés offshore peut bien faire l’objet d’un débat général, l’on doute que la divulgation des noms des bénéficiaires (surtout de ceux qui sont inconnus au grand public) puissent être d’un quelconque intérêt dans ce cadre d’un tel débat.

C’est en réalité toute la problématique de la pratique des Papers : elle entraîne des confusions et débouche très souvent sur une atteinte disproportionnée aux droits des bénéficiaires. Ainsi, l’ingénierie patrimoniale est assimilée à la fraude fiscale et le bénéficiaire d’une société offshore à un fraudeur, alors qu’en même temps, l’utilisation de documents volés apparaît comme acceptable afin d’atteindre un but « supérieur », et ce même si l’on ignore si la proportion des fraudeurs justifie une telle entorse aux règles légales. Ensuite, les données personnelles et patrimoniales de milliers de personnes font l’objet d’une publicité inacceptable et incontrôlée, souvent avec des conséquences désastreuses au niveau personnel ou économique, alors même que souvent, elles n’ont strictement rien à se reprocher.

Certains ont parfois tendance à l’oublier dans ce contexte très médiatique mais la proportionnalité est essentielle dans une société démocratique ; surtout quand il s’agit de concilier des valeurs à force égale s’opposent.

Les bienfaits cachés de la flat tax

Les bienfaits cachés de la flat tax

La flat tax, ou impôt à taux unique, peut être une solution pour améliorer notre fiscalité. Voici pourquoi.

Un article de Claude Goudron paru initialement sur le site de Contrepoints

La flat tax s’invite à l’occasion des débats pour la présidentielle 2022 et plus particulièrement chez Éric Ciotti.

Cet impôt à taux fixe modéré qui s’applique à tous est le gage d’une incontestable efficacité.

Pour ceux qui l’ignoreraient, il s’agit d’un impôt à taux unique, voire à deux taux, qui remplacerait l’impôt sur l’ensemble des revenus (travail et autres sources) devenu lourd à gérer et trop souvent l’objet de contournements.

La flat tax éviterait également de nombreuses fraudes ou montages plus ou moins sophistiqués pour échapper à une contribution qui reste indispensable au bon fonctionnement du pays.

Elle est généralement proposée aux alentours de 15 %, voire 30 % si on y inclut les prélèvements sociaux de type CSG. Une réflexion devrait avoir lieu préalablement pour en définir le périmètre d’application et le taux en découlant.

Elle est déjà adoptée par 24 pays et proposée par l’IREF en décembre 2009. Elle présente le double avantage d’être simple et efficace.

Très simple à mettre en place

Avec le prélèvement à la source imposé par Gérald Darmanin, le système est déjà en place et ne nécessiterait aucune autre modification que le remplacement du taux actuel par celui unique qui rendrait encore plus simple son fonctionnement, surtout pour le chef d’entreprise.

La flat tax serait bien entendu individuelle et le quotient familial supprimé avec l’avantage de garantir la confidentialité auprès de l’employeur.

Évidemment cela implique de réajuster et de globaliser les prestations d’allocations familiales afin de rendre plus juste la prise en compte de la situation familiale de chaque ménage.

Cette flat tax devrait s’appliquer au-delà d’un revenu mensuel qui pourrait être de 1000 euros. Ainsi, le smicard paierait un impôt très faible, de l’ordre de 450 euros par an, l’équivalent de ce qu’il paye aujourd’hui. Il participerait donc quand même à l’effort national.

Cette flat tax ne pénaliserait donc pas les bas salaires.

Efficacité reconnue de la flat tax

Un faible impôt sur un base importante est reconnu par les économistes comme l’impôt le plus rentable. En continuant cette démonstration et en extrapolant sur l’ensemble des revenus, avec cette taxe unique à 15 %, la rentrée fiscale peut facilement s’estimer :

Environ 30 millions d’actifs (salariés + fonctionnaires) perçoivent un revenu net mensuel moyen de 2238 euros (source Insee) dont sont déduits 1000 euros, soit : 1238 euros x 12 = 14 856 euros imposable à 15 % soit 2228 euros par actif pour un total donc de 66, 84 milliards.

Environ 20 millions de retraités pour un revenu moyen de 1297 euros : en faisant le même calcul nous arrivons à un total de 10,7 milliards.

L’impôt sur le revenu total serait alors de 77,54 milliards, très proche des 80 milliards encaissés aujourd’hui.

Ce calcul ne tient pas compte des niches fiscales qui doivent donc disparaître. Puisque ce sont les plus gros revenus qui en profitent leur baisse du niveau d’impôt le compenserait largement.

Pour les revenus inférieurs, la niche fiscale la plus importante est celle de la garde d’enfant. La CAF devrait pouvoir compenser.

La flat tax : un atout pour l’entreprise

Pour les bas salaires, le coût salarial pour l’entreprise n’est plus guère éloigné de nos concurrents étrangers, l’Allemagne précisément. Ce n’est pas le cas des hauts salaires, ceux que l’on doit impérativement retenir en France.

Pour cela les cadres demandent un revenu net d’impôt (leur véritable pouvoir d’achat) équivalent à ce qui leur est offert à l’étranger, avec une base imposable à 15 % au lieu des 45 % actuels pour la tranche supérieure. Le problème est donc largement résolu, y compris pour nos footballeurs vedettes. On peut même envisager une baisse sensible de leur salaire brut, de l’ordre de 20 %. Ils percevraient encore un net d’impôt 20 % plus élevé qu’actuellement.

Ce serait alors une économie importante pour le chef d’entreprise dont le salaire diminuerait mais également les charges sociales afférentes.

C’est du gagnant/gagnant, même pour l’État qui ne verrait plus ses élites et ses entreprises s’expatrier.

Il ne resterait alors plus que l’alignement des charges sur les hauts salaires sur l’Allemagne où elles sont, rappelons-le, deux fois supérieures pour un salaire de 4000 euros et trois fois supérieures pour un salaire de 8000 euros.

Un projet de campagne 2022

Pour nos candidats en mal d’idées pour la campagne présidentielle c’en est une à développer et à mettre dans leur programme avec engagement de l’appliquer dans les 100 premiers jours de leur quinquennat.

Pression fiscale et sociale sur les salaires

Pression fiscale et sociale sur les salaires

L’Institut économique Molinari publiait voici quelques semaines son traditionnel tableau comparatif concernant les prélèvements réels sur les salaires des travailleurs.
La Belgique se classe une fois de plus sur le podium européen avec des prélèvements de l’ordre de 54% de la charge salariale globale.

Il nous parait très important de rappeler qu’il s’agit là de prélèvements moyens, extrêmement importants, et qu’ils sont au final toujours supportés par le travailleur. En effet, l’employeur doit toujours s’assurer que la valeur ajoutée créée par le travailleur couvre son coût salarial, au risque de faire faillite.

La Ligue des Contribuables insiste donc lourdement pour que les gouvernements réduisent leurs trains de dépenses afin que le travailleur puisse vivre dignement des fruits de son travail.

Pierre-Yves Novalet.

La Ligue des contribuables porte la taxe sur les comptes-titres devant la Cour constitutionnelle

La Ligue des contribuables porte la taxe sur les comptes-titres devant la Cour constitutionnelle

La saga de la loi instaurant une taxe sur les comptes titres se poursuit. Pour mémoire, la première mouture de cette loi éminemment symbolique adoptée le 7 février 2018 avait été annulée par la Cour constitutionnelle par un arrêt du 17 octobre 2019, sans toutefois que la Cour en annule les effets passés, les contribuables ayant payé n’a donc pas été remboursés, bien que la loi ait été jugée contraire aux normes constitutionnelles. 

Le législateur a donc repris son bâton de pèlerin et a revu sa copie pour en produire une version 2.0 adoptée le 17 février 2021. 

Même si la nature de la taxe est incertaine si l’on devait suivre le gouvernement, il faudrait constater que, plus que prévoir une taxation sur les comptes titres, cette loi introduit, sur le plan des principes, dans notre législation fiscale le concept d’impôt sur la fortune, celui donc d’un impôt qui frappe la détention d’un patrimoine et non le fait que celui-ci produise un revenu, ce qui nous paraît inacceptable, sachant que les avoirs détenus ont a dans la plupart des cas déjà donné lieu à une imposition très forte.

Le rendement espéré de cette taxe, de l’ordre de 0,1% du budget de l’Etat, nous convainc également que cette mesure a plus la valeur d’un symbole qu’une utilité économique réelle. Il y a donc fort à craindre que cette loi, si elle est maintenue, verra son taux évoluer dans le futur.

Cette taxe frappe indistinctement les personnes physiques et les personnes morales en possession d’un compte-titres de plus d’un million d’Euros, même si ce compte est détenu en indivision avec d’autres personnes, voire même si l’actionnariat de la personne morale le détenant est majoritairement étranger. La nature de la taxe est au moins incertaine, les actions nominatives sont par ailleurs exonérées, ainsi que la plupart des autres valeurs patrimoniales, aucune exception ne figure dans le texte alors que Monsieur le Ministre les avait acceptées lors des discussions parlementaires, des présomptions qui ne souffrent pas de preuve contraire sont instaurées et les produits d’assurance vie de la Branche 23 y sont par ailleurs assimilés. Tout ce qui précède crée incontestablement une rupture des principes d’égalité, de légalité et européens.

La Ligue des Contribuables a donc décidé de mandater son conseil, Maître Thierry Afschrift, pour demander l’annulation de cette loi devant la Cour constitutionnelle, tout en sachant très bien qu’une troisième version est déjà en préparation, au cas où celle-ci ne franchirait pas le cap du contrôle de constitutionnalité, tout en comptant sur le fait qu’en cas d’annulation pour le futur, les taxes payées restent propriété de l’Etat.

Pierre-Yves Novalet.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Taxer les entreprises, c’est taxer les salariés et les entrepreneurs

Taxer les entreprises, c’est taxer les salariés et les entrepreneurs

Entretien avec Pascal Salin, économiste et ancien président de la Société du Mont Pèlerin.
Initialement paru sur le site de Contrepoints.

Un entretien avec Pascal Salin publié par Brussels Reports

Pascal Salin (né en 1939) est un économiste français bien connu, professeur émérite à l’Université de Paris-Dauphine et spécialiste de finance publique et d’économie monétaire. Il a été président de la Société du Mont-Pèlerin (de 1994 à 1996), qui est le réseau international d’universitaires faisant la promotion de la liberté d’entreprendre et des libertés individuelles le plus prestigieux. En 2014 il a publié un nouveau livre intitulé La tyrannie fiscale, qui met en évidence les dangers que les impôts constituent pour l’économie, ainsi que les risques de mainmise étatique.

Il a été interviewé en exclusivité pour Brussels Report par Lorenzo Montanari, Directeur exécutif de l’Alliance pour les droits de propriété (Property Rights Alliance – PRA). C’est le premier entretien d’une série consacrée aux principaux soutiens européens de l’économie des marchés libres.

Lorenzo Montanari : Lors de la récente réunion du G20 à Venise, il a été convenu d’adopter un impôt mondial minimal de 15 %. Ce point a été aussi développé à l’OCDE, a été endossé par le G7 et par 130 pays représentant 90 % du PIB mondial. Ce prélèvement mondial a été promu par le gouvernement américain Biden-Harris, en particulier par la Secrétaire au Trésor Janet Yellen. Comment pouvons-nous relancer notre économie alors que les dirigeants du monde renoncent à la concurrence fiscale en mettant en œuvre un tel impôt minimum ?

Pascal Salin : Ce projet d’impôt mondial minimal doit être considéré comme absurde sous plusieurs angles.

Avant tout il faut reconnaître que la concurrence a des effets positifs importants. C’est vrai bien entendu pour la concurrence entre firmes mais c’est vrai aussi pour les politiques fiscales. En effet, si la fiscalité dans un pays produit de meilleurs résultats que la fiscalité dans d’autres pays, cela peut encourager l’adoption de cette fiscalité dans les autres pays. Toutefois, il y a un aspect particulier de l’impôt mondial qui est particulièrement discutable. C’est l’harmonisation des impôts sur les entreprises entre autant de pays du monde que possible.

En matière de fiscalité des entreprises, il y a plusieurs définitions. Cela peut concerner la réglementation de l’assiette fiscale, qui traduit la valeur de la production d’une entreprise sur une période donnée. La TVA peut aussi être considérée comme un impôt sur les entreprises, puisqu’elle est collectée par les entreprises. Toutefois, en général la fiscalité des entreprises signifie un impôt sur les bénéfices des entreprises.

Cependant, dans tous ces cas, la notion d’impôt sur les entreprises n’a aucun sens. En effet, une entreprise est un ensemble de contrats, en particulier des contrats entre salariés et entrepreneurs, mais aussi des contrats entre fournisseurs et acheteurs. Ce ne sont pas les clauses contractuelles qui payent des impôts, mais ce sont les signataires du contrat. En conséquence on doit considérer qu’un impôt payé par une entreprise est en fait payé par les signataires des contrats qui constituent cette entreprise, en particulier les salariés et les entrepreneurs.

De plus, lorsque l’assiette de la fiscalité sur les entreprises est constituée des bénéfices des entreprises, il serait plus pertinent de parler non pas d’impôt sur le revenu des entreprises mais d’impôts sur les bénéfices des entreprises. Quoi qu’il en soit, cette assiette fiscale doit être considérée comme absurde. Pourquoi prélever un impôt particulier sur les revenus des entrepreneurs alors qu’ils doivent très probablement payer un impôt sur le revenu par la suite ?

En conséquence, les salariés et les travailleurs indépendants sont soumis seulement à l’impôt sur le revenu alors que les entrepreneurs sont soumis à deux impôts : l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur le revenu. Cette dualité est injuste et elle risque de réduire les incitations à entreprendre, ce qui est néfaste pour tout le monde.

Lorenzo Montanari : En termes de réformes économiques nationales, quel est le plus grand défi en France ?

Pascal Salin : La France est un des pays avec les taux les plus élevés du monde à la fois en dépenses publiques et en taxation. Comme les impôts détruisent les incitations à s’engager dans des activités économiques – les incitations à travailler, à développer une entreprise, à innover, à épargner, etc. – pendant de nombreuses années la France a connu un très faible taux de croissance économique et un niveau de chômage très élevé.

La meilleure politique économique consisterait à réduire les impôts, en particulier la progressivité de l’impôt sur le revenu. Toutefois il y a beaucoup de réglementations qui détruisent les incitations économiques et un grand nombre de règles devraient être jetées aux orties, en particulier celles qui concernent le fonctionnement des entreprises.

Lorenzo Montanari : D’après vous quelles devraient être les priorités du gouvernement français en termes de politique de l’Union européenne ?

Pascal Salin : Je pense que le gouvernement français ne devrait pas avoir comme priorité de tenter de modeler une nouvelle organisation de l’Union européenne. En effet, la plupart des politiciens français ont toujours considéré que l’intégration européenne impliquait le développement d’un État européen, comme si l’Europe était un pays.

Je pense que l’intégration économique concerne principalement la liberté des échanges et donc la concurrence entre les producteurs des différents États membres, mais aussi la concurrence entre les États.

Bien souvent les politiciens français font la promotion de ce qu’ils appellent harmonisation européenne, par exemple l’harmonisation fiscale ou l’harmonisation réglementaire, afin de supprimer les écarts entre les différents États membres. J’ai toujours pensé qu’il est plus important d’avoir une concurrence entre les politiques de pays différents, plutôt que d’avoir les mêmes politiques.

Lorenzo Montanari : Vous avez publié récemment La tyrannie fiscale, qui est un livre très intéressant et convaincant sur les risques d’une fiscalité élevée. Pouvez-vous résumer quelques-uns des principaux points ?

Pascal Salin : La tyrannie fiscale ne vise pas à présenter une description des fiscalités existantes, mais à apporter aux lecteurs un cadre intellectuel qui leur facilite la compréhension du rôle de l’impôt dans le fonctionnement des systèmes économiques et l’évaluation des impôts du point de vue de l’équité.

Le livre commence par une analyse générale des effets économiques des impôts en insistant sur le fait qu’ils réduisent les incitations à créer, travailler, épargner ou investir. Il souligne aussi le fait qu’il ne suffit pas de s’inquiéter du poids global des impôts sur un pays mais qu’il faut analyser rigoureusement comment chaque impôt fonctionne.

Le livre explique par exemple pourquoi la progressivité de l’impôt, l’impôt sur les successions ou sur le patrimoine ne sont pas de bonnes idées, pourquoi il est faux de dire que les entreprises payent des impôts, pourquoi la taxe sur la valeur ajoutée n’est pas une taxe sur la consommation – contrairement à ce qu’on dit généralement – mais une taxe sur le revenu des propriétaires et des agents d’une entreprise, et pourquoi les personnes sont soumises à des taxes plus élevées qu’en apparence.

Le livre examine également le rôle des États. Il est fondé sur des théories économiques rigoureuses mais il est accessible à tous, car il évite le jargon trop compliqué et une approche généralement trop technique.

L’Etat à nouveau condamné pour le double précompte franco-belge

L’Etat à nouveau condamné pour le double précompte franco-belge

La cour d’appel d’Anvers a tranché en faveur d’un Belge ayant perçu des dividendes français. La position du fisc devient difficile à défendre

Une décision de justice renforce la jurisprudence favorable aux investisseurs belges en matière de double précompte mobilier sur les dividendes d’actions françaises. Dans un arrêt du 17 décembre, dont le Service public fédéral des Finances a communiqué la teneur à L’Echo, la cour d’appel d’Anvers a condamné l’Etat belge à imputer l’impôt français sur le précompte belge appliqué aux dividendes d’origine française. Autrement dit, l’impôt belge appliqué aux dividendes d’actions françaises doit être diminué d’un montant forfaitaire (égal à 15% du dividende net d’impôt français), qui est dénommé “quotité forfaitaire d’impôt étranger” (QFIE).

Sans application de la QFIE, l’impôt total sur les dividendes français perçus par un Belge atteint 40,50%. La QFIE permet de ramener ce taux à 27,75%.

Conséquence de cet arrêt de la juridiction anversoise: la position de l’administration fiscale, défavorable à cette imputation de la QFIE, devient de plus en plus compliquée à défendre. Toutefois, “l’arrêt (de la cour d’appel d’Anvers, NDLR) est actuellement analysé pour vérifier s’il y aurait encore une possibilité d’introduire un nouveau pourvoi en cassation”, précise-t-on au SPF Finances. La Cour de cassation s’était prononcée en faveur de l’imputation de la QFIE le 16 juin 2017 et avait renvoyé l’affaire devant la cour d’appel d’Anvers pour que cette dernière applique la décision de cassation sur le fond. Ce qui vient donc d’avoir lieu le 17 décembre 2019.

Cette saga judiciaire a d’importantes implications pour les investisseurs belges qui détiennent des actions françaises. Comme le fisc belge refuse l’imputation de la QFIE française, un dividende d’action française est taxé lourdement. Sur un dividende français de 100 euros, la France retient d’abord 15%. Ensuite, la Belgique applique son précompte mobilier de 30% aux 85 euros restants, soit une retenue de 25,50 euros. L’investisseur belge ne récupère donc que 59,50 euros de dividende net et l’impôt total atteint ainsi 40,50%.

Impôt réduit à 27,75%

Mais si on applique la jurisprudence de la Cour de cassation, qui impose l’imputation de la QFIE française, le résultat est tout autre: la QFIE, qui s’élève à 15% du montant après retenue française (85 euros), est de 12,75 euros, et quand on impute ces 12,75 euros sur le précompte mobilier belge de 25,50 euros, l’impôt prélevé en Belgique tombe à 12,75 euros, ce qui permet d’obtenir un dividende net de 72,25 euros (15 euros payés à la France et 12,75 euros payés à la Belgique). Dans ce cas, l’impôt total est limité à 27,75%. Un taux qui est même inférieur à celui du précompte sur les dividendes d’actions belges (30%)…

Quand un contribuable belge ayant perçu des dividendes français réclame l’imputation de la QFIE, les receveurs des contributions refusent ou, au mieux, placent la demande en suspens, dans l’attente de la décision de la Cour de cassation.
La Cour de cassation a donc consacré cette méthode en 2017 et la cour d’appel d’Anvers vient de l’appliquer au fond de l’affaire qui lui était soumise. Entre-temps, la cour d’appel de Bruxelles avait, elle aussi, appliqué cette jurisprudence favorable au contribuable, dans un arrêt du 20 septembre 2018. Mais l’administration fiscale avait refusé d’acquiescer à cet arrêt et avait introduit un nouveau pourvoi en cassation. La plus haute juridiction devra donc à nouveau se prononcer dans ce dossier qui tient les investisseurs belges en haleine.

En attendant ce nouvel arrêt de cassation, le fisc gagne du temps. Quand un contribuable belge ayant perçu des dividendes français réclame l’imputation de la QFIE, les receveurs des contributions refusent ou, au mieux, placent la demande en suspens, dans l’attente de la décision de la Cour de cassation. Résultat: en pratique, le double précompte demeure et l’impôt total atteint encore 40,50%.

L’arrêt de la cour d’appel d’Anvers donne toutefois du grain à moudre aux contribuables qui ont introduit des réclamations. “Cet arrêt est perçu comme une victoire par les contribuables”, explique Me Grégory Homans, avocat associé au cabinet Dekeyser & Associés. “Ils sont nombreux à espérer que cela débloque leur situation. En effet, certains conseillers généraux avaient décidé de ne pas traiter les réclamations introduites dans le cadre de la QFIE tant que la cour d’appel d’Anvers ne se serait pas prononcée.”

Reste à voir si le fisc ira à nouveau en cassation contre cet arrêt. “Si l’administration fiscale ne se pourvoit pas en cassation, il deviendra compliqué de légitimer l’attitude attentiste de certains conseillers généraux”, analyse Me Homans.

Avec un arrêt de cassation et deux arrêts de cours d’appel favorables, les contribuables mènent face au fisc par trois à zéro.

Article de Philippe Galloy initialement paru sur le site de l’Echo.